Adamou Hamadou : Le mil Chakti, « une solution concrète pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle » au Niger

Cet entretien a été initialement publié par Mongabay dans le cadre de sa série Planet Podcast en français. Pour l'intégralité de la conversation, écoutez l'épisode n° 5 : « Nourrir sans détruire : défis alimentaires et climatiques ».

Selon les statistiques de 2023 de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Niger est le premier pays producteur de mil en Afrique de l’Ouest. Cette céréale domine largement les systèmes de culture au Niger. Parmi les innovations agricoles récentes, la variété de mil Chakti, du fait de sa précocité et sa forte teneur en nutriments, émerge comme une solution prometteuse pour faire face aux sécheresses récurrentes et à la dégradation des sols. Développé par l’Institut international de recherches sur les cultures des zones tropicales et semi-arides (ICRISAT), en collaboration avec l’Institut national de recherche agronomique du Niger (INRAN), et homologuée en 2018 , cette variété parvient à maturité en seulement 60 jours, contre 100 à 120 jours pour les variétés traditionnelles de mil.

Chakti offre ainsi une bouée de sauvetage aux agriculteurs de mil confrontés à des saisons des pluies de plus en plus courtes. De plus, des progrès significatifs ont été constatés en 2024, avec la mise à disposition de 515 tonnes de semences certifiées de Chakti auprès des agriculteurs au Niger.

Toutefois, malgré ces avantages, certains producteurs se montrent encore réticents quant à son adoption.

Dans une interview accordée à M. Mongabay, Adamou Hamadou, technicien de recherche à l’ICRISAT, explique comment cette innovation pourrait transformer l’agriculture nigérienne.

Mongabay : Pouvez-vous nous présenter le mil Chakti et son origine ?

Adamou Hamadou : Le mil Chakti est une variété de mil d’origine africaine, développée au Niger à l’ICRISAT par sélection récurrente, c’est-à-dire, une succession de plusieurs générations de semences identiques. Cette variété a été commercialisée en 2018, après évaluation et confirmation de sa stabilité sur plusieurs sites.

Mongabay : Quel est la particularité de ce mil ?

Adamou Hamadou : La grande force du mil Chakti, c’est sa précocité exceptionnelle. Alors que les variétés traditionnelles de mil nécessitent entre 100 et 120 jours pour arriver à maturité, le mil Chakti est prêt à être récolté en seulement 60 jours. Cette caractéristique est cruciale dans un contexte où les pluies deviennent de plus en plus irrégulières et où les périodes de sécheresse sont fréquentes. De plus, dans des conditions optimales, certains agriculteurs parviennent même à réaliser deux cycles de culture par an avec cette variété.

Mongabay : Au-delà de son adaptation aux effets du changement climatique, quels sont ses atouts nutritionnels ?

Adamou Hamadou : Le mil Chakti est une variété biofortifiée. Il contient 60 mg/kg de fer et 45 mg/kg de zinc, soit des teneurs supérieures à celles des variétés de mil conventionnelles cultivées par les agriculteurs. La variété HKP (haini kirey) précoce, la principale variété produite au Niger, représentant 80% des productions du mil en 2024] par exemple, ne contient que 45mg/Kg de fer et 35mg/Kg de Zinc.

Les qualités nutritionnelles du mil Chakti en font un aliment particulièrement intéressant pour les groupes vulnérables tels que les enfants de moins de 5 ans, les adolescents et les femmes enceintes. Plusieurs exemples, issus de différentes régions du Niger, montrent que la consommation du mil Chakti par les femmes et les enfants des ménages ruraux a amélioré leur santé.

M Adamou Hamadou, Technicien supérieur de recherche, Amélioration accélérée des cultures, ICRISAT
M Adamou Hamadou, Technicien supérieur de recherche, Amélioration accélérée des cultures, ICRISAT

Mongabay : Et en ce qui concerne la sécurité alimentaire au Niger, quels sont ses avantages ?

Adamou Hamadou : Cette variété présente un avantage majeur : sa précocité. En raison du changement climatique, les variétés actuellement les plus utilisées par nos producteurs ont des cycles de développement relativement longs et, souvent, n’atteignent pas leur maturité avant la fin de la saison des pluies.

La variété Chakti, offre une réponse pertinente à cette problématique. Quelle que soit la période à laquelle elle est semée, elle a de fortes chances d’arriver à maturité avant l’arrêt des pluies. Ainsi, même en cas de semis tardif, elle permet d’assurer une production minimale, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire.

De nos jours, beaucoup de producteurs, désorientés par les effets du changement climatique, ne savent plus exactement quand semer. Il en résulte que certaines variétés n’arrivent pas à terme, faute de pluies suffisantes. Chakti, par sa capacité à mûrir rapidement, peut aider à pallier ce déficit et à répondre aux besoins alimentaires des ménages. Il représente donc une solution concrète dans la lutte contre l’insécurité alimentaire.

Mongabay : Est-ce que cette variété a été facile à faire adopter par les agriculteurs ?

Adamou Hamadou : En fait, plusieurs facteurs freinent encore son adoption généralisée. D’abord, ses épis sont relativement courts (entre 35 et 40 cm), ce qui ne correspond pas aux habitudes locales de stockage en bottes. Ensuite, la couleur de ses grains, plus foncée que celle des variétés traditionnelles, peut décourager certains agriculteurs habitués à des teintes plus claires. Enfin, même sa précocité peut devenir un inconvénient, car elle attire particulièrement les oiseaux et les insectes, qui trouvent dans le mil Chakti, une source de nourriture précoce dans la saison.

Mongabay : Quelle stratégie adoptez-vous pour favoriser cette adoption progressive ?

Adamou Hamadou : Notre approche repose sur des démonstrations dans les champs des agriculteurs et la sensibilisation plutôt que sur l’imposition. Nous distribuons de petites quantités de semences pour permettre aux agriculteurs de tester cette variété dans leurs champs. Nous participons également à des foires aux semences et menons des projets comme le FESTIMIL (le Festival International du Mil) en impliquant le gouvernement afin de sensibiliser la population. Et c’est justement en constatant les bienfaits de sa consommation pour la santé, que l’intérêt des agriculteurs pour cette variété augmente progressivement.

Un échantillon de variété de mil Sosat (plus claire et plus long) à gauche et un échantillon de mil Chakti (plus sombre et plus court) à droite. Image de Fanta Chamsou pour Mongabay Afrique.
Un échantillon de variété de mil Sosat (plus claire et plus long) à gauche et un échantillon de mil Chakti (plus sombre et plus court) à droite. Image de Fanta Chamsou pour Mongabay Afrique.

Mongabay : Pouvez-vous nous faire le point sur la diffusion actuelle du mil Chakti ?

Adamou Hamadou : Les dernières données du catalogue national 2024 montrent une progression remarquable. Pour comprendre ces chiffres, il faut savoir que nous classons les semences en différentes générations : de G0 (matériel de base créé par les chercheurs) jusqu’à R2 (semences disponibles pour les agriculteurs).

Le processus est très structuré. Nous, chercheurs de l’ICRISAT et de l’INRAN, produisons les premières générations (G0 à G3). À partir de la G3, la troisième génération, nous confions ces semences à des sociétés semencières ou des coopératives agréées qui produisent la G4, puis la R1 et R2 (première et deuxième reproduction). Chaque étape doit être déclarée au ministère de l’Agriculture, avec des informations précises sur les superficies, les quantités et l’origine génétique des semences.

Cette année, nous avons enregistré 18 hectares consacrés à la production de semences G4 de mil Chakti (par les coopératives et sociétés agréées), 208 hectares pour la R1 et 560 hectares pour la R2.

Mongabay : Qu’est-ce que cela représente en termes de quantités produites ?

Adamou Hamadou : Les productions sont très encourageantes : 10 tonnes de semences G4 (quatrième génération de semences produites par les sociétés et coopératives agréées), 191 tonnes de R1 (première reproduction à partir de la G4) et 515 tonnes de R2 (deuxième reproduction) ont été produites et sont disponibles pour la commercialisation à travers tout le Niger.

Du mil chakti. Image de Fanta Chamsou pour Mongabay Afrique.
Du mil chakti. Image de Fanta Chamsou pour Mongabay Afrique.

Mongabay : Cela fait un total de 716 tonnes de mil Chakti produites en 2024. Que nous disent ces chiffres sur le futur de la culture de la variété Chakti au Niger ?

Adamou Hamadou : Pour une variété homologuée seulement en 2018, c’est une progression exceptionnelle. Aujourd’hui, le mil Chakti est devenu la deuxième variété de mil la plus diffusée après la HKP (Haini Kirey Précoce). Cette croissance rapide démontre une réelle acceptation par les producteurs.

Le mil Chakti est adapté aux conditions de faible pluviométrie, très répandues au Niger. Il s’est imposé comme une solution concrète pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Ces données officielles du catalogue national témoignent de son succès croissant.

Mongabay : Selon vous, quelles sont les prochaines étapes pour que des innovations comme le mil Chakti changent durablement l’agriculture au Niger ?

Adamou Hamadou : Le changement climatique n’est plus une menace lointaine ; c’est une réalité et nos agriculteurs y sont déjà confrontés. Des solutions comme le mil Chakti représentent une partie de la réponse à ces défis, mais leur succès dépendra de la capacité des agriculteurs à s’adapter aux nouvelles technologies intelligentes face au climat. La sécurité alimentaire et nutritionnelle de notre pays dépend des nouvelles technologies agricoles capables de lutter contre le changement climatique. L’ICRISAT et ses partenaires sont à pied d’œuvre pour créer d’autres technologies plus efficaces, afin de renforcer la résilience des agriculteurs face aux changements climatiques et au réchauffement global.

Cet entretien a été initialement publié par Mongabay dans le cadre de sa série Planet Podcast en français. Pour l'intégralité de la conversation, écoutez l'épisode n° 5 : « Nourrir sans détruire : défis alimentaires et climatiques ».

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Agathe Diama

Agathe Diama

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